La guérison (1/x)

Dans cette série d’articles, Léo et moi allons nous livrer sur le rapport que nous entretenons au militantisme en faisant une sorte de généalogie de nos idées pour mieux comprendre ce qui a participé à nous faire devenir les militants que nous sommes aujourd’hui.

Balbutiements

Mon intérêt pour la politique débuta à travers des échanges que j’avais avec mon père. Il me conseilla de lire le manifeste du parti communiste, une première lecture plutôt accessible. J’ai progressivement acquis la grille de lecture marxiste, que je trouvais impressionnante de par sa rigueur. Au fil des années, je fus spontanément attiré par la rhétorique flamboyante de Lordon que je découvris dans un épisode de « Nos chers contemporains », une émission d’Usul, qui lui était dédié. En écoutant Lordon, j’éprouvais la sensation d’entendre un « vrai intellectuel de gauche ». Il avait quelque chose de captivant et je ne manquais aucune de ses interventions enregistrées que je trouvais souvent hilarantes. C’est curieux que j’ai entamé la lecture de « Figure du communisme » puis de « Capitalisme, désirs et servitude », deux de ses livres. La fascination que Lordon avait pour Friot me conduit naturellement à m’intéresser à lui. Après avoir surmonté les quelques difficultés qui entourent la découverte de sa pensée peu orthodoxe, je fus véritablement transformé par l’idée du déjà-là communisme que je trouvais très enthousiasmante pour éviter de céder à la résignation. Au fur et à mesure, le projet de société Friot/Lordon, comme j’aimais l’appeler, se matérialisait de plus en plus précisément dans mon esprit et donnait un sens nouveau à ma manière de lutter. L’enjeu n’était plus de froidement critiquer sans trop de conviction la société capitaliste, mais de penser désormais un communisme désirable et d’étendre ce déjà là bien visible. Je repensais au souvenir douloureux de mes camarades d’infortune et moi, ne sachant que répondre aux remarques de notre professeur d’histoire qui affirmait d’un air désabusé et en haussant les épaules que les patrons partiraient si on les taxait trop. Nous avions l’intime conviction qu’il se trompait sans pour autant réussir à lui répondre de façon convaincante. En un an, j’avais plongé tête la première dans le puits sans fond des questionnements libertaires et nous étions maintenant armés pour lui répondre.

Exercices

C’est avec le mouvement social contestant la réforme des retraites que j’ai participé à mes premières manifestations. C’était une forme d’expression qui ne s’imposait pas d’elle-même pour moi au départ. De tempérament plutôt calme, je ne me sentais pas à ma place dans cette foule qui s’auto-émulait. J’y ai finalement pris goût et je me mis à rejoindre les rassemblements spontanés à la tombée de la nuit. Nous réussissions parfois à former des cortèges et partions déambuler gaiement à travers les pentes de la croix-rousse, quelquefois accompagné d’une fanfare. Dans ces moments-là, j’avais toujours en tête la formule de Lordon à propos du jeu du chat et à la souris auquel se livraient manifestants et policiers : « Tous les soirs à Paris, la jeunesse cavale comme des lapins dans les rues. Elle est en train d’épuiser les gros scarabées qui trottent derrière et qui commencent à marcher sur leur langue ». Je considérais cet exercice comme une sorte de « gymnastique révolutionnaire ». Malgré mes beaux idéaux, je n’en menais pas large devant la police. Ces déambulations nous permettaient de nous habituer, à moindre mesure, à la confrontation avec la police.

Lordon le radieux
L’origine du terme « gymnastique révolutionnaire »

Renoncement à la pureté militante

Parallèlement à ça, je finis par accepter qu’il n’y avait pas un mais des moyens de faire advenir les idéaux libertaires. Je m’efforçais tant bien que mal d’adopter un point de vue conséquentialiste malgré le je-ne-sais-quoi que je trouvais repoussant dans le réformisme. Une fois la supercherie de la démocratie bourgeoise révélée au grand jour, il me paraissait difficile de continuer à participer à ce jeu de dupe. Quoi qu’il en soit, je me persuadais que mon rôle de militant était d’éviter d’agir d’une manière qui pouvait desservir la cause et me résignais à aller voter.

Regroupement

Plusieurs des amis avec qui j’avais pris l’habitude de discuter politique s’étaient éloignés de Lyon pour leurs études. Je me suis ainsi retrouvé sans personne pour parler de ces sujets qui nous tenaient tous tant à cœur. À la fac, beaucoup affichait un désintéressement manifeste pour la question politique. Un jour, alors que la question du blocage de l’université Lyon 2 avait fait irruption au sein d’une de nos conversations, ils firent remarquer que les étudiants bloqueurs étaient très certainement des fainéants qui voulaient éviter le travail à tout prix. Je me fis à l’idée que ce n’était pas dans ce milieu scientifique que j’allais rencontrer des militants avec qui discuter. Naturellement, l’aspiration à rejoindre des groupes de discussion ou n’importe quelle forme de structure militante grandit en moi. J’ai sauté le pas au bout de quelque temps en adhérant à Réseau Salariat, l’association fondée entre autres par Bernard Friot, qui a pour vocation de discuter de tout un tas de sujets concernant le travail, puis en me syndiquant à la C.N.T dans la foulée. Pourquoi avoir choisi la C.N.T et non l’U.N.E.F tout simplement ? D’abord parce que l’aspect associatif m’intéressait mais aussi car le côté nébuleux de la C.N.T m’intriguait tout autant qu’il me plaisait. C’était peut-être son rôle déterminant dans la guerre d’Espagne, dont je ne connaissais l’histoire que par le prisme des documentaires Arte, qui infusait en moi. Bien que j’appréciais la pensée marxiste pour la réflexion qu’elle développe au sujet du travail, je n’étais par pour autant insensible à l’aspect romantique des luttes que menaient les anarchistes. C’est en visionnant l’excellent documentaire « Ni vieux ni traîtres » que je me mis à m’interroger sur le rapport que j’avais aux luttes. Jacques, le protagoniste principal et ex-sympathisant du groupe Action Directe, avait quelque chose de profondément touchant. De par le détachement qu’il avait à l’égard des luttes qu’il menait mais aussi par sa façon d’être. Jacques et ses camarades étaient avant tout des hommes qui affectionnaient par-dessus tout la vie. Galvanisé par l’idée que la vie était de notre côté, j’étais bien décidé à empreindre mon militantisme de légèreté.

Extrait du documentaire « Ni vieux ni traîtres » de Pierre Carles et Georges Minangoy

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Commentaires (1)

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Par Anonyme, le 2 août 2023 :

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